Le testament d’un orphelin de Duplessis

Publié  le 22 mai 2018 par Martin Lavoie, Agence QMI

 

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Abusé sexuellement et battu durant son enfance, un orphelin de Duplessis condamné par la maladie veut, avant de mourir, laisser une trace des terribles sévices qu’il a endurés.

Floribert Langis a tiré un mauvais numéro de la loterie de la vie. Abandonné à sa naissance, victime de la page la plus sombre de l’époque de la Grande Noirceur du Québec, il doit aussi se battre contre la dystrophie musculaire qui le handicape lourdement depuis plus de 30 ans. Avant d’accéder au repos éternel, l’homme de 71 ans tenait à témoigner de ce qu’il a vécu. Ses mémoires, intitulés La descente aux enfers de Floribert Langis, paraîtront bientôt sous forme d’un livre.

Né le 24 janvier 1947 à Québec, Floribert Langis a été confié dès le lendemain à la crèche Saint-Vincent-de-Paul.

C’est à l’âge de 5 ans que les mauvais traitements débutent, indique-t-il. Il vient alors d’être transféré à l’Institut Mgr Guay à Lauzon (Lévis). L’orphelinat était tenu par les Sœurs du Bon-Conseil.

«Un gardien ne voulait pas qu’on aille aux toilettes seuls. Il nous baissait les culottes et nous touchait le pénis. Quand on ne voulait pas se laisser toucher, il nous frappait avec la strap. Je me suis plaint aux religieuses, mais elles ne me croyaient pas», affirme M. Langis.

Un médecin écrit le 28 novembre 1955 que Floribert Langis est un «débile mental profond, inéducable, avec un gros trouble de langage, au comportement infantile et impulsif». Une religieuse signe en tant que témoin.

«Je faisais ma troisième année et j’apprenais bien à l’école», se questionne toujours M. Langis. «C’est un être très intelligent mon Floribert», renchérit Chantale Paquet, une bénévole qui le connaît depuis deux ans. Elle l’assiste au CHSLD Hôpital général de Québec où il réside maintenant.

Ce type de diagnostic a souvent été répété par des institutions québécoises. Le gouvernement fédéral de l’époque accordait une allocation quotidienne de 0,70 $ par enfant dans un orphelinat. La somme était majorée à environ 2,25 $ pour les déficients mentaux confiés aux asiles psychiatriques.

Pire à Baie-Saint-Paul

C’est pour cette raison que le 16 décembre 1955, celui qui avait huit ans à l’époque a quitté l’Institut Mgr Guay pour l’hôpital Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul, qui accueillait les déficients mentaux. «Quand je suis arrivé, je ne voulais pas sortir de l’autobus. J’avais peur d’être à nouveau maltraité. Et je ne me suis pas trompé. Ça a été deux fois pire qu’à Mgr Guay», se remémore la victime.

«Il y avait neuf gardiens qui nous faisaient mal, à moi et à d’autres, tout le temps», ajoute celui qui affirme avoir encore été victime d’abus sexuels.

En août 1956, des gardiens se servent des barreaux en fer d’une galerie pour lui casser les deux bras. Il en garde des séquelles puisqu’il doit être réopéré au bras gauche en 1967 puis au droit en 1987.

En 1959, il est transféré à Saint-Irénée. «J’ai été très bien. On y avait de bons gardiens», mentionne M. Langis. Mais en 1965, il retourne à l’hôpital. Si certains abus se poursuivent, il est enfin scolarisé.

En 1967, à 20 ans, il est «libéré» de l’hôpital Saint-Anne. Le rapport médical daté du 31 mars le décrit comme «poli, franc, serviable et jovial avec ses compagnons et ses éducateurs (…) scolarisation tardive (depuis deux ans seulement) et Q.I. assez bon qui aurait rendu une scolarisation presque régulière». Après avoir été hébergé dans une famille d’accueil. Il part vivre seul en appartement au début des années 1970, toujours dans Charlevoix. Il fait toutes sortes de petits boulots, de la plonge en restaurant au gardiennage d’enfants en passant par l’entretien ménager. En 1987, la maladie s’aggrave et il doit arrêter de travailler. Il déménage à Québec en 1994 et demeure autonome jusqu’à ce que la maladie le cloue dans un fauteuil roulant en 2012.

Incapable d’obtenir justice

Ses diverses tentatives pour faire condamner ses bourreaux n’ont jamais été couronnées. «En 1987 j’ai pris un avocat de l’aide juridique pour poursuivre un gardien de l’Institut Mgr Guay. La police et le procureur ne m’ont pas aidé», dit celui qui n’a touché que 25 000 $ du gouvernement.

En 1993, il se rend aux bureaux de la SQ à Baie-Saint-Paul pour porter plainte cette fois contre les gardiens de l’hôpital Sainte-Anne. «Le dossier a été transféré à Québec. En mai 1994, la couronne m’a dit qu’on ne pouvait pas faire témoigner d’autres enfants, que ça pouvait briser des ménages. D’autres ne voulaient pas témoigner», se désole-t-il.

Au final, Floribert Langis estime que 25 individus différents lui ont infligé de mauvais traitements, la majorité d’entre eux l’ayant aussi abusé sexuellement. Par contre, il n’y avait aucun religieux parmi eux, «on ne les voyait pas durant la journée», fait-il remarquer.

En dépit de tous les malheurs qui se sont abattus sur lui, Floribert Langis n’a jamais été animé par la colère. Il dresse un portrait positif de sa vie, mis à part son enfance, et il ne s’arrête jamais sur les conséquences de sa maladie.

Il est possible d’obtenir les mémoires de M. Langis (publication privée) en contactant Chantale Paquet au (418) 999-5522.

Les orphelins de Duplessis

Sur la base de faux diagnostics de maladie mentale, des enfants orphelins de neuf institutions sont transférés vers des hôpitaux psychiatriques où ils subissent des sévices. Des expériences médicales sont aussi pratiquées sur certains. Les patients des asiles psychiatriques reçoivent de plus généreuses subventions du gouvernement fédéral que les simples orphelins. Cette politique est attribuée au gouvernement de Maurice Duplessis, au pouvoir au Québec de 1936 à 1939 puis de 1944 à 1959. Certaines personnes sont demeurées institutionnalisées jusqu’en 1964.

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